Monsieur Poulain devait conduire Maya à l’Hôpital voir son amie Emma, après le repas. Mais il pensa qu’après l’épisode éprouvant qu’elle venait de vivre dans le restaurant, il était plus sage qu’elle rentre se reposer à la maison. C’est pourquoi il emprunta le chemin du retour sans l’ombre d’une hésitation, persuadé, qu’il était, de son bon choix. Cependant Maya, l’entendait autrement. Elle n’avait pas vu Emma depuis des jours et ce n’était pas ce petit malaise qui allait l’arrêter. Son opiniâtreté n’était plus à démontrer et elle savait parfaitement comment s’y prendre avec son père pour le convaincre. Il lui suffisait de faire son regard de chien battu pour qu’il craque, il craquait toujours…
- Écoute papa, si tu veux je ne resterai pas longtemps, mais laisse-moi aller la voir.
S’il te plait !
- Bon, d’accord… Je reviens dans une heure, dans le hall.
La petite voiture bleu clair entama un demi-tour. Au bout d’un court moment, elle stoppa devant l’établissement hospitalier. Une portière claqua, un instant après, la petite voiture bleu clair se fondit dans le serpent rampant de la circulation.
Combien de temps déjà qu’elle n’avait pas vu son amie. Maya pensait à cela lorsqu’elle traversa le couloir de l’entrée. Il n’y avait pas la grosse-grosse dame derrière le comptoir à l’accueil, mais un jeune homme à l’air peu aimable.
Maya ne s’attarda pas, elle s’engagea directement dans l’escalier qui la mènerait auprès d’Emma. Une fois dans le service concerné, elle remplit le protocole pour la visite, à savoir, se revêtir de la tunique, charlotte et chaussons de protection.
Emma n’avait pratiquement pas changé depuis la dernière fois. Peut-être avait-elle perdu un peu de poids. Son visage était toujours aussi beau et serein. Maya posa son regard sur la malade avec une intensité nouvelle, comme si elle souhaitait percer un quelconque mystère.
Elle choisit d’éviter tout contact, cette fois, car elle craignait d’avoir à nouveau des visions difficiles à supporter. Maya avait l’impression d’être devenue une éponge à souvenirs, une éponge à émotions. Il lui suffisait de se poser sur une personne pour en absorber la substance intime.
Elle préféra rester tout près de son amie et lui parler. Elle lui raconta les mésaventures de son frère Robin dans les catacombes, comment Karim l’avait aidée pour la traduction des poèmes contenus dans les lettres. Elle lui révéla la véritable identité de Rose et son inquiétude à son égard. Mais elle omit de lui parler d’Agathe, elle préférait attendre un peu. Le temps s’écoula, l’heure passée, elle prit congé.
Elle sortit des toilettes où elle s’était débarrassée de ses vêtements de papier, s’arrêta devant la vitre pour faire un dernier coucou à Emma et constata que son amie n’était plus seule. Un homme de taille moyenne portant une casquette était assis sur le lit. Il était penché sur l’enfant et de temps à autre, son corps s’animait de soubresauts. La silhouette de cet homme n’était pas sans lui rappeler celle de l’un des assassins de Rénald.
Glacée, Maya se raidit et lâcha son sac sur le carrelage. Alerté par le bruit, l’homme se retourna. Pendant un instant Maya fut pétrifiée.
- Monsieur Rénald ! s’écria Maya stupéfaite. Elle hésita entre sauter de joie ou se méfier.
L’homme avait le visage ravagé par le chagrin. Il se leva sans un mot, attrapa la fillette par le bras et l’emmena dans le couloir où il chercha un dégagement pour y être tranquille. Maya tacha de se dégager à plusieurs reprises, mais la poigne de l’homme s’était refermée comme des menottes sur son poignet.
C’était un homme aux abois, très nerveux et Maya commençait à paniquer lorsque deux infirmiers apparurent au fond du couloir. Ils ne pouvaient faire autrement que les croiser. Rénald, la tête basse, rasa le mur et d’une main ferme s’appuya sur l’épaule frêle de Maya. Elle qui pensait profiter de cette rencontre pour se dégager et donner l’alerte, se retrouva verrouillée comme la serrure d’un coffre fort. Les deux infirmiers passèrent sans prêter attention à eux. Maya ouvrit largement la bouche, la voix qui lui avait fait défaut l’instant d’avant, revint en force mais brièvement. Une large main gantée pressa ses lèvres desséchées par la peur.
- Il faut pas que tu aies peur. Chut ! C’est pas le moment de se faire repérer.
Ses yeux voyageaient de droite à gauche de leurs orbites, l’homme était aux aguets. Il se méfiait de toute présence étrangère. Un intrus l’obligea à lâcher Maya.
La fillette ne posa aucun problème, de toute façon les mots restaient coincés dans sa gorge où l’air pouvait à peine s’infiltrer, tellement elle était serrée.
L’infirmière disparue, Il la saisit à nouveau, cette fois sous le bras, l’obligeant à marcher sur la pointe des pieds à son allure, bien trop rapide pour Maya. Elle avait mal, elle voulait se défaire de l’emprise de l’homme, mais c’était trop dur.
Ils s’engagèrent sur la passerelle qui conduisait à l’autre bâtiment. Maya, effarée, se demanda où il pouvait bien l’entraîner et surtout ce qu’il pouvait bien lui vouloir. Ils prirent l’ascenseur. Dans ce lieu clos, Rénald se décontracta et relâcha sa prise. Il n’avait toujours pas prononcé un seul mot d’explication. Chaque fois qu’elle levait vers lui son visage, il la dévisageait de ses gros yeux écarquillés.
Puis l’ascenseur s’ouvrit sur la cafétéria de l’hôpital, Maya soupira de soulagement. Il y avait du monde, si jamais ça se passait mal, s’il la menaçait, elle crierait. Il attrapa au passage deux sodas vendus en libre-service et installa Maya face à lui à une table bien l’écart.
- Ecoute-moi bien Maya, tu ne dois dire à personne que je suis en vie. Car si tu le fais, je ne donne pas cher de ma peau. Quelqu’un veut ma mort… je suis en train d’enquêter et je vais le trouver, jusque-là il faut que tu me jures que tu ne diras rien à personne, même pas à ton père. Tu le jures ?
- Mais pourquoi ?
- Parce qu’il vaut mieux qu’on me croît mort pour l’instant, sinon j’aurais à répondre du cadavre qu’on a trouvé chez moi et je serai sans doute accusé du meurtre, tu comprends ? ces gens-là sont prêts à tout pour me détruire, j’ai une piste, il faut que j’aille jusqu’au bout.
Maya se reprit. Rénald ne pouvait pas lui faire de mal. Du moins pour le moment.
- Dites-moi ce qui s’est passé chez vous ?
- Ces deux pingouins se sont tirés dessus, j’avais réussi à me cacher grâce à un bruit dans la maison qui avait fait diversion…
- Je sais, c’est moi qui l’ai fait ce bruit.
- C’est toi ? Maya, tu sais que tu m’as sauvé la vie. Misère, si tu n’étais pas venue ce jour-là… Toujours est-il qu’il se sont disputés, un coup de feu est parti et me voilà avec un cadavre sur les bras. J’ai pas vraiment réfléchi, le mort avait le même gabarit que moi j’ai échangé nos habits. Je sais pas pourquoi j’ai fait ça, la peur sans doute… Il ingurgita une grosse gorgée de soda et réprima un rot intempestif. Depuis je me traîne avec ses nippes qui commencent à puer sévèrement.
- Mais la ressemblance ? sa figure c’était pas la même que la vôtre !
- Il s’est pris le coup de feu en pleine face. Complètement défiguré le bonhomme. Je t’avoue que ça m’a bien arrangé qu’il se fasse ravaler le portrait.
Maya observait l’homme clairement à bout. Ses expressions, son vocabulaire ordinaire, tranchaient avec l’idée qu’elle s’était faite de lui. Des cernes noires accentuaient l’effet exorbité de ses yeux. Il avait rasé sa barbe épaisse, Maya découvrait ainsi ses traits creusés et tirés. On aurait dit un petit animal traqué par les chasseurs. Malgré le discours de Rénald, Maya n’arrivait pas à se détendre et à lui faire entièrement confiance.
- Maya ? tu m’écoutes ?
- Hum, oui bien sûr. Vous étiez en train de me dire que ça vous arrangeait bien que le malfaiteur soit défiguré.
- Cette médaille, celle qu’ils cherchaient. Ils étaient venus pour ça. Eh bien, j’ai retrouvé la bijouterie qui la fabrique.
Cela rappela à Maya qu’elle aussi avait fait la même démarche mais qu’elle n’avait toujours pas obtenu de réponse.
- Elle est gravée derrière et j’ai l’adresse du graveur. C’est un vieux monsieur à la retraite qui conservait tous les noms de ses clients et la date des commandes dans un registre. C’est le bijoutier qui me l’a appris. J’ai appelé le graveur, tout à l’heure, il accepte de me voir. Lorsque j’aurai le nom de celui qui a commandé la gravure je le tiendrai cet enfant de sa…
Il se coupa net dans sa phrase, se souvenant soudainement qu’il était en présence d’une jeune fille.
- En tous cas, une chose est sûre c’est que ce Personnage bénéficie de complicité dans la police. Il a fait du chantage sur les deux malfrats chargé de voler la médaille, Reprit-il.
- Comment vous pouvez le savoir ?
- Parce que le second, celui qui a tué accidentellement le premier, a pris peur et m’a raconté comme on l’avait sommé de commettre ce délit sous peine de retourner en prison avec une accusation de trafic de drogue sur le dos. Tu sais, c’est très facile lorsqu’on est un flic pourri, de trafiquer des preuves. Il a même reçu le double de son dossier judiciaire chez lui pour le convaincre… On l’a intimidé. Mais le pire c’est qu’il a tellement commis de délits, il s’est si souvent fait arrêter qu’il ne sait pas qui se cache derrière tout ça.
- où est-il maintenant ?
- En sécurité. Je pense que le commanditaire doit savoir que je suis en vie et que j’ai le médaillon.
- Et il vient d’où ce médaillon ?
- Maya, c’est compliqué…
- Oui mais j’ai le droit de savoir, j’y suis mêlée, ma famille y est mêlée car c’est bien le portefeuille de mon père que les malfrats avaient laissé comme pièce à conviction chez vous. Ce qui veut dire que celui qui commande tout voulait faire accuser mon père. Alors, depuis je cherche ce qui nous lie…Et… Je crois avoir trouvé… Alors, s’il vous plait racontez-moi.
Rénald se relâcha, son corps raide précédemment épousa le siège et son visage s’éclaircit. Les marques d’anxiété et de fureur s’estompèrent insensiblement.
- Eh bien voilà, il y a environ dix ans la maman d’Emma a disparu brutalement. Mais avant de disparaître, elle avait pris soin de me renvoyer Emma par avion, elle prenait toujours l’enfant avec elle pour que je prépare mes examens plus tranquillement. À l’époque, absorbé par mes études, je ne m’étais pas inquiété au départ, je pensais qu’elle avait des choses à régler après le décès de sa sœur. Et puis, un peu plus tard, j’ai trouvé une lettre dans laquelle elle me disait qu’elle avait démasqué le responsable de la mort de sa sœur et qu’elle comptait le confondre. Cette lettre, je l’ai trouvée dans le sac d’Emma, son petit sac à dos en peluche qui ne la quittait jamais. Mais il y avait une chose que je n’ai découverte que l’an dernier en débarrassant les vieux cartons pour notre déménagement. Ce petit sac, je l’avais conservé pour Emma, c’était comme un doudou pour elle. Lorsque je l’ai ressorti d’un tas de vieillerie, Emma l’a récupéré et c’est elle qui a trouvé le médaillon. J’étais certain que ce médaillon était une relique familiale, c’est pour ça que…Tiens le voici.
Maya s’empara de l’objet et vérifia la gravure. Il était inscrit en lettres Capitales : Paul-Antoine.
Elle sortit le pendentif offert par mamie de son pull. Au verso figurait une gravure de même nature, son prénom et seulement son prénom.
- Où tu l’as eu ? sursauta Rénald.
- Je vous répondrai, mais d’abord, expliquez-moi comment les malfaiteurs ont su pour le médaillon ? Comment pouvaient-ils se douter ?
- Tout ça c’est ma faute ! De rage Rénald balaya les canettes posées sur la table. Ses yeux reprirent une expression effroyable.
Maya n’en menait pas large, pourtant, elle ne profita pas du remue-ménage provoqué par cet éclat pour s’échapper. Elle jugea qu’il fallait attendre pour obtenir l’explication qui l’amènerait sûrement à la solution. Et puis que pouvait-il lui faire devant tous ces gens.
Rénald se ressaisit, il ramassa les canettes et épongea la table avec sa manche et ses gants dont il se débarrassa négligemment, tout en assurant aux gens qui le dévisageaient, qu’il n’y avait aucun problème.
- Pourquoi ? Réitéra Maya. Pourquoi sont-ils venu chercher ce médaillon chez vous, justement ? Pourquoi ?
Après un moment d’hésitation, il saisit les bras frêles de Maya et les serra avec poigne au risque de les briser.
- Le plus simplement du monde. C’est moi qui les y ai invités…il faut que j’y aille, fini-t-il par lâcher. Malgré sa stature imposante il s’évapora presque instantanément.
Maya se figea. Sa mâchoire refusa obstinément de se rouvrir… pourtant elle aurait voulu l’appeler, lui dire qu’elle avait retrouvé sa femme et qu’elle aussi faisait partie de sa famille. Mais elle était une fois de plus paralysée.
Une série d’images vinrent se fixer dans son cerveau. La réponse à sa question se déroulait comme un vieux film sous ses yeux. Rénald avait fait paraître dans le journal une petite annonce.
« Cherche propriétaire d’un médaillon bleu avec une étoile au centre, en vue de reconstituer une famille… »
Ce dont ne se doutait pas Rénald, c’était qu’il détenait une précieuse preuve contre le MONSTRE. Il avait voulu retrouver une famille perdue, il avait malheureusement mis en danger la seule qui lui restait. Sa propre fille en avait fait les frais.
« Maintenant je sais qui tu es MONSTRE. »